Par Elisabeth Brisson
Revu le 27 janvier 2022

Cette partition universellement connue, au moins en Occident, provient du chœur qui conclut la deuxième partie du Messie, « oratorio sacré » anglais, en trois parties, pour orchestre, solistes et chœur, composé par Haendel à la fin de l’été 1741 et créé à Dublin le 13 avril 1742.

Georg Friedrich Haendel

Haendel est né le 23 février 1685 à Halle, ville du Saint Empire romain germanique située en Saxe. Il est mort à Londres le 14 avril 1759. Après un temps d’apprentissage musical effectué dans sa ville natale, Haendel élargit sa formation en voyageant : en 1703, il s’installe à Hambourg – ville où furent créés en 1705 ses deux premiers opéras : Almira et Nero. Puis il part en Italie : durant son séjour – entre 1706 et 1710 – il rencontre les compositeurs les plus en vue – Alessandro Scarlatti et son fils Domenico Scarlatti, Corelli, Albinoni, Vivaldi – et se familiarise avec les formes instrumentales du concerto et de la sonate, ainsi qu’avec les différents genres de musique vocale : cantate, opera seria italien à Naples comme à Venise, oratorio à Rome comme à Florence. Stimulé par ces rencontres, il met à l’épreuve ses capacités de compositeur en écrivant au moins cent cinquante cantates italiennes, ainsi que deux opéras italiens : Rodrigo et Agrippina, et deux oratorios romains : Il trionfo del Tempo e del Disinganno (1707) et La Rezurrezione (1708). Puis, au lieu de devenir dépendant d’un prince allemand ou d’une ville allemande, il choisit de s’installer à Londres où, grâce à la protection de la famille royale qui lui versa une pension annuelle, il a la possibilité de vivre de ses entreprises musicales dans le domaine de l’opéra italien – non sans prise de risques tant sur le plan de ses finances personnelles que sur le plan du soutien du public issu de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie d’affaires, en un temps de mutation des sensibilités et du goût[1]. Après une série de succès – durant une période qui dura plus d’un quart de siècle et au cours de laquelle il produisit une quarantaine d’opéras italiens -, Haendel est obligé de constater que le goût du public anglais a changé et que l’opéra italien ne fait plus recette : il s’investit alors dans l’oratorio anglais, c’est-à-dire une œuvre pour voix, chœurs et orchestre sans représentation sur scène – il en composa une trentaine.  

L’oratorio anglais

Avant d’être contraint d’abandonner l’opera seria italien, Haendel avait déjà fait l’expérience d’œuvres entièrement chantées en anglais en composant Acis and Galatea et The Story of Esther en 1718: ces premiers essais l’incitèrent, au cours des années 1730, à pallier l’indifférence croissante du public anglais pour les spectacles italiens en perfectionnant le genre de l’oratorio anglais. Il renonça donc aux intrigues compliquées de l’opera seria centrées sur les relations de haine, de jalousie et d’amour entre les protagonistes, pour consacrer par la musique la valeur dramatique de livrets tirés soit de l’Ancien Testament – Deborah, Israel in Egypt, Jephta, Joshua, Judas Maccabeus, Samson, Saul, Salomon, Suzanna -, soit d’histoires de saints martyrs – Theodora -, soit de la mythologie païenne – Hercules, Semele -, soit de poèmes allégoriques écrits par J. Dryden – Alexander’s Feast œuvre à la gloire de sainte Cécile – ou par J. Milton – L’Allegro,  il Penseroso ed il Moderato. Si Haendel abandonna les conventions et contraintes de l’opera seria, il n’oublia pas son goût pour le théâtre : il le transposa même dans le genre spécifiquement spirituel et religieux de l’oratorio, inventé au XVIe siècle dans le contexte de la Contre-Réforme par Philippe de Neri (1515-1595), fondateur de la congrégation des Oratoriens, pour favoriser la méditation collective et les « exercices spirituels » édifiants. La dimension théâtrale conférée par Haendel à l’oratorio a métamorphosé ce genre au point de faire de l’« oratorio anglais » une « invention » de Haendel.

Ce statut d’ « invention » est, en fait, le reflet des enjeux politiques, religieux, culturels et socio-économiques qui ont accompagné et soutenu l’émergence de l’oratorio anglais. Que ce nouveau genre puisse être considéré comme une métaphore de la situation historique de la Grande Bretagne – qui réunit l’Angleterre et l’Ecosse depuis l’Acte d’Union de 1707 – tient aussi bien aux thèmes bibliques des livrets qu’à la facture de la musique de Haendel. Conformément à l’idéologie qui régnait alors, les thèmes des livrets étaient en concordance avec la conviction des Anglais d’être le nouveau peuple élu : cette identification avec le peuple d’Israël tel qu’il est présenté dans l’Ancien Testament a d’ailleurs soutenu le processus « impérialiste » de l’Angleterre – sa volonté de suprématie maritime qui fut reconnue en 1763 par le traité de Paris. Le contenu des livrets exprime donc les certitudes comme les interrogations et les tensions de la classe politique anglaise depuis l’éviction de la dynastie catholique de Jacques II lors de la « Glorieuse Révolution » de 1688, au profit de Guillaume d’Orange, puis d’une dynastie issue du Hanovre en 1714. Or, cette condensation de sens effectuée par les livrets est étayée par une mise en œuvre musicale, qui fait également sens sur le plan politique par l’importance dévolue aux chœurs : cette caractéristique des oratorios anglais de Haendel souligne la notion de dimension collective de l’action et démontre la cohésion « démocratique » d’une société politique, animée par la référence à l’Habeas corpus (1679), en train de découvrir, à la suite du Bill of Rights (1689), les avantages comme les risques d’un système parlementaire. Ainsi, cet ensemble – livrets et facture musicale qui magnifient la détermination, la puissance et la cohésion du peuple anglais – porte et exprime la volonté politique de conjurer l’éclatement d’une société déchirée par des querelles religieuses – anglicans / catholiques – et politiques – les partis wighs / tories -, et bousculée par l’exode rural générateur de misère urbaine comme de mutation économique[2].

L’oratorio anglais inventé par Haendel est donc l’équivalent d’un avertissement prophétique adressé au peuple anglais pour qu’il prenne conscience de la nécessité de garder une cohésion nationale, un des fondements de la puissance anglaise – source de force généralement désignée par le terme de « patriotisme ». Haendel qui condensa cette volonté « patriotique » dans le genre édifiant et spécifique de l’oratorio anglais, a rapidement été instrumentalisé comme représentant de la puissance anglaise, étant mis au service de l’orgueil « national » anglais : en 1738, donc de son vivant, une statue de marbre le représentant en Apollon (ou Orphée) la lyre à la main charmant le monde, fut érigée dans les Vauxall Gardens, ces lieux destinés aux divertissements mondains des soirées d’été, et la première biographie de l’histoire de la musique lui a été consacrée – celle de John Mainwaring (1724-1807), Memoirs of the Life of the late G.-F. Handel, publiée en 1760, donc l’année qui suit sa mort, puis traduite en allemand par le compositeur et théoricien de la musique Johann Mattheson (1681-1764) et publiée à Hambourg en 1761, traduction qui sert de base à une version française parue en 1768-1769 à Paris – avant même que ne soient organisées, à partir de 1784, les grandioses commémorations annuelles en son honneur dans le cadre de l’Abbaye de Westminster.

Le Messie

Parmi la trentaine d’oratorios anglais, Le Messie fut vite considéré comme le paradigme même de l’apport de Haendel à l’Angleterre, et à la musique : d’ailleurs, l’œuvre complet de Haendel a longtemps été réduit à cet « oratorio sacré », qui diffère pourtant des autres oratorios anglais – tout son vaste catalogue étant ignoré purement et simplement.

Le sujet du livret du Messie n’est plus centré sur un épisode dramatique et édifiant de l’histoire d’un souverain ou d’un personnage biblique, qui a risqué sa vie pour sauver son « peuple », mais il est centré sur les modalités, les raisons et les effets du mystère de l’incarnation de Jésus – le Christ n’étant pratiquement jamais nommé. Le texte du livret est donc une incitation à la méditation sur le rôle du Christ dans la promesse de salut ; pour souligner cette dimension religieuse et sacrée, le livret a été organisé par le librettiste Charles Jennens à partir de citations textuelles de la Bible provenant des Prophètes qui annoncent la venue d’un sauveur – en particulier Isaïe -, de différents psaumes, d’extraits des Evangiles et de l’Apocalypse, et d’écrits de saint Paul – autant de textes familiers à tout auditeur anglais, imprégné de la Bible anglicane publiée en 1611 ainsi que du « Book of Common Prayer ».

Le livret du Messie est organisé en trois parties – l’incarnation, la passion et la résurrection, et enfin le Messie en gloire – : la première rassemble la prophétie de la venue d’un sauveur, la naissance de Jésus et l’annonce de sa « bonne parole » ; la deuxième partie évoque la Passion et l’Ascension, et se termine par la victoire de la volonté divine sur les nations récalcitrantes ; la troisième affirme la foi en la rédemption au jour du Jugement dernier.

L’œuvre rassemble donc tous les événements du calendrier chrétien : naissance, passion, mort, résurrection, ascension, lamentations funèbres… elle peut donc être exécutée à tout moment de l’année liturgique, Noël, Pâques, Ascension, ce qui lui confère une dimension sacrée universelle dépassant le simple cadre de la liturgie chrétienne.

Enfin, la conception musicale du Messie est également spécifique : pas de ces grands airs réservés à quelque primo uomo ou prima donna, mais des airs variés propices à la méditation et de nombreux chœurs qui expriment une réelle ferveur religieuse collective, et qui sont soutenus par un orchestre discret conjuguant les timbres du hautbois, du basson et de la trompette aux cordes, aux timbales et à l’orgue (dans la première version de Londres en 1743). Cet « oratorio sacré » est en quelque sorte une synthèse de plusieurs genres de musiques tant sacrées que profanes : les psaumes, les anthems, l’opéra italien, le masque anglais et la cantate.

Les raisons de la popularité de l’Hallelujah

Si Le Messie est très souvent exécuté en concert dans tous les pays chrétiens (à l’instar de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach), l’Hallelujah appartient au répertoire de toutes les chorales, délié de toute connotation religieuse ou de toute exigence liturgique. Pourtant, sa dimension sacrée – citations de la Bible et méditation sur le salut – instrumentalisée par le « patriotisme » britannique, est à l’origine de sa popularité.

Conclusion de la deuxième partie du Messie, cet Hallelujah éclate de manière surprenante et convaincante par sa fermeté et ses sonorités – hautbois, bassons, cordes, basse continue, avant que les trompettes et les timbales ne se joignent à l’ensemble : il est placé juste après l’évocation de la révolte des nations qui, refusant de se plier au culte d’un Dieu unique, finissent par être vaincues. Cette victoire de Dieu est saluée par cette puissante acclamation, « Hallelujah », répété sur trois formules rythmiques différentes avant de ponctuer les vers qui posent la victoire divine – chacun de ces vers étant traité musicalement de manière différente : soit sous forme de cantus firmus – « for the Lord God Omnipotent reigneth » (« car le Seigneur tout-puissant règne ») ; soit de choral – « The kingdom of this world is become the kingdom of our Lord, and of His Christ » (« Le royaume du monde est devenu le royaume de notre Seigneur et de son Christ ») ;  soit par une écriture en imitation par tuilage : « and He shall reign for ever and ever » (« et il règnera dans le siècle des siècles ») ; soit par une écriture fuguée : «  King of Kings, and Lord of Lords » (« Roi des rois et Seigneur des seigneurs ») – le tout se terminant par une conclusion sur un rythme grandiose soutenue par les timbales et les trompettes, les broderies étant assurées par les violons.

Cette irruption du grand chœur, allegro en majeur à quatre temps, produisit un effet irrésistible dès les premières exécutions : la légende – variable comme toute légende – raconte que lors de la première exécution à Londres le 23 mars 1743,  alors qu’une campagne de presse avait dénoncé comme sacrilège le fait de donner cet « oratorio sacré » dans une salle de spectacle, le roi se serait levé au moment de l’Hallelujah… une autre version met en scène le prince et la princesse de Galles lors de la première exécution dans la chapelle du Foundling Hospital de Londres : ils se seraient levés pour quitter la chapelle croyant que c’était le fin de l’oratorio… Le fait de se lever, manifestation collective réservée habituellement à certains moments précis de la liturgie d’un service religieux, devint alors la norme – Le Messie étant exécuté régulièrement tous les ans à partir de 1750, donc du vivant de Haendel, dans la chapelle du Foundling Hospital.

Messiah (Handel) - Wikiwand
Messiah (Händel)- Wikiwand

Encore aujourd’hui, dans quel que lieu que ce soit, tout public anglo-saxon se lève au moment de l’Hallelujah, comme tout Français se lève pour La Marseillaise… car cette pratique originelle a été perpétuée dès les premières commémorations consacrées à Haendel à partir de 1784 dans le cadre de l’Abbaye de Westminster, avec les effectifs de plus en plus gonflés d’année en année : plus de 1000 musiciens en 1791 !

L’emprise du chœur et les choix politiques

Cet hommage collectif de ferveur, à la fois religieuse et « patriotique », n’est pas le seul élément à l’origine de la popularité de l’Hallelujah : l’emprise immédiate de ce chœur sur les auditeurs comme sur les chanteurs procède de la simplicité musicale apparente d’une acclamation qui, bien que familière à tout chrétien pratiquant, provoque un sentiment de cohésion et de puissance collective.

Depuis les premières exécutions, cette emprise s’est perpétuée du fait de choix politiques plus que religieux comme en témoignent le but des grandes commémorations de Haendel dès 1784 : cet hommage visait en fait à démontrer et à mettre en évidence la supériorité du peuple anglais, le peuple qui est le plus musicien de tous les peuples comme le prouve le fait qu’il ait été choisi par le plus grand compositeur de tous les temps. Cette instrumentalisation de Haendel pouvait fonctionner à une époque où la musique était un moyen et un enjeu de pouvoir et de domination : démonstration de la supériorité d’un prince ou d’un roi dont elle servait la gloire, la musique devient au XIXe siècle l’instrument par excellence de l’affirmation de l’identité nationale de tout peuple cherchant à s’émanciper d’une tutelle étrangère comme de tout peuple se prétendant supérieur aux autres peuples.

Si les Anglais ont instrumentalisé Haendel et Le Messie, œuvre érigée comme son œuvre par excellence du fait de sa dimension religieuse et sacrée, les autres « peuples », chacun à sa manière, ont contribué à maintenir et à élargir la popularité de l’Hallelujah. Dès les années 1770, les Américains en révolte contre leur métropole ont considéré les oratorios de Haendel, en particulier Israël en Egypte et le Messie qui magnifient la lutte victorieuse d’un peuple élu par son Dieu, comme l’expression de leur combat contre l’oppression : la tradition s’est ainsi établie d’exécuter le Messie tous les ans au moment de Noël.

Du côté des pays germaniques, Haendel a été considéré comme le représentant par excellence de la « musique ancienne » dont il fallait retenir la force et la grandeur. Ainsi, Mozart réorchestra Le Messie ; Haydn composa lui aussi un oratorio sacré, La Création (1798) ; Beethoven s’inspira de la démarche de Haendel en composant la Neuvième Symphonie créée en mai 1824, destinée à assurer la cohésion du lien social, dans une dimension sacrée qui n’est plus l’apanage de la religion chrétienne ; Mendelssohn qui composa plusieurs oratorios chercha à revenir au texte authentique du Messie qui avait tendance à être exécuté avec des effectifs grandioses ; Schumann salua Haendel comme un modèle ; Wagner, à Londres en 1855, fut étonné de constater que des partitions bon marché du Messie étaient entre toutes les mains des auditeurs, comme un missel, etc.

Pendant que dans les cultures anglo-saxonnes et germaniques Le Messie était considéré comme le moyen d’affirmer sa supériorité, la France a longtemps entretenu un certain mépris pour Haendel – Berlioz le qualifia de « tonneau de porc et de bière » -, il faut attendre les concerts Lamoureux de 1873 pour que Le Messie soit donné intégralement à Paris…, les tensions diplomatiques avec la Grande Bretagne entravant encore pour un certain temps sa diffusion jusqu’à sa consécration officielle par le concert inaugural de l’Exposition universelle de 1900 à Paris.

Le retour à l’original

L’ensemble de ces appropriations, qui sont de l’ordre de la surenchère, sous-tend la popularité de l’Hallelujah, exécuté par des chœurs toujours plus immenses et accompagnés par des orchestres toujours plus étoffés : 2765 chanteurs accompagnés par un orchestre de 460 musiciens lors du « deuxième grand festival Haendel » donné en 1859 à Londres dans la grande salle du Crystal Palace :

1857 – Crystal Palace

En 1883, année record, il y eut 4000 choristes et 500 instrumentistes – ces chiffres énormes accompagnent les festivals donnés au Crystal Palace jusqu’au dernier en 1926. Ces exécutions massives et grandioses, destinées à stimuler le sentiment de cohésion nationale, très éloignées de l’œuvre originale, conçue pour un orchestre réduit et des chœurs professionnels, ont servi de référence pour les enregistrements jusqu’en 1967, quand le chef d’orchestre Colin Davis osa se contenter des effectifs originaux, ce que réclamait l’humoriste anglais Bernard Shaw dès 1913 en affirmant : « Si j’étais membre du Parlement, je proposerai une loi punissant de mort quiconque exécuterait un oratorio de Haendel avec plus de quatre-vingt musiciens ».

Malgré le retour à des effectifs réduits, les interprétations de l’Hallelujah sont très variées : tandis que certaines jouent sur la dimension martiale des timbales, des trompettes et des formules rythmiques de l’acclamation, d’autres mettent en valeur la dimension spirituelle en distinguant les différents plans sonores : l’acclamation et les versets de louanges.

Outre les interprétations très variées, l’Hallelujah a subi de nombreux arrangements : pour boîte à musique ou sous forme de jazz par Quincy Jones dans l’ouverture du film Bob and Carol and Ted and Alice (1969) du réalisateur Paul Mazursky.

La référence implicite à la jubilation

Quelle que soit l’interprétation ou quel que soit le type d’arrangement, la popularité de l’Hallelujah est portée par toute l’histoire de la musique occidentale de tradition savante, puisque l’acclamation « Alléluia » – « Louez le Seigneur » – a eu de multiples usages : elle a servi, avant même le temps du chant dit « grégorien », imposé à partir du VIIIe siècle, de ponctuation au verset chanté par le psalmiste dans le contexte de la liturgie responsoriale, puis elle a été insérée dans le cadre de la liturgie de la messe, entre la lecture de l’Epître et celle du Nouveau Testament. Or l’« Alléluia » est la source du jubilus, ce plaisir à chanter des vocalises sur le « a » qui, de manière subversive, a fait éclater la monodie grégorienne non mesurée (cantus planus ou plain-chant) et a contribué au développement de la dimension mesurée et jubilatoire de la musique, introduisant le corps là où seul l’esprit devait être concerné et régner.

Toutefois, l’Hallelujah du Messie de Haendel diffère des autres « alléluias » – en particulier ceux des cantates de Bach, tel celui de la Cantate Bwv 51, ou ceux des motets de Mozart destinés à la vierge, tel l’Exultate Jubilate K.158a, ou plus tard celui du Roi David, « psaume symphonique » composé par Arthur Honegger en 1921 -, car il renonce à tout mélisme, toute vocalise, pour se concentrer sur la puissance du rythme, identique à toutes les voix, lié à une très grande densité harmonique.

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L’Hallelujah du Messie de Haendel fait donc partie de la culture populaire apportant à ceux qui le chantent ou qui l’écoutent une joie et un sentiment de transcendance qui, conformément à la musique issue du jubilus, permet de dépasser toute contrainte et tout interdit pour accéder à une liberté, une inventivité et une légèreté de tout l’être.

Orientation bibliographique

Marc Belissa, Haendel en son temps, Paris, ellipses, 2011 – et ses contributions à l’ouvrage collectif, « Wagner m’a tué », s.d. E. Brisson, Paris, ellipses, 2011, « de la vieille perruque à la star » et « la construction d’un mythe national ».

Claus Bockmaier, Händels Oratorien, Ein musikalischer Werkführer, C.H Beck, München, 2008.

Christopher Hogwood, Haendel, Paris, J.-C. Lattès, 1985.

Winton Dean, Handel’s Dramatic Oratorios and Masques, London, 1959.

Edmond Lemaître et Sylvie Bouissou, Guide de la musique sacrée et chorale, l’âge baroque 16001750, Fayard, coll. Les indispensables de la musique, Paris, 1992.


[1] Voir Marc Belissa, Haendel en son temps, Paris, ellipses, 2011, en particulier le chapitre 7. « Succès et déboires d’un compositeur/entrepreneur d’opéra, 1729-1736 ».

[2] Voir Marc Belissa op.cit., chapitres 4. « Politique, culture, musique et société : l’Angleterre de Haendel, 1710-1737 » et 8. « Politique, culture, musique et société : les évolutions des mentalités et du goût, 1737-1759 ».