Lire ou relire Freud

Elisabeth Brisson, janvier 2023

Qui n’a pas encore lu ou relu les œuvres « didactiques » de Sigmund Freud (1856-1939), ainsi que quelques-unes de ses œuvres théoriques ?

Entre autres nombreuses éditions, son œuvre complet en allemand classé par ordre chronologique est publié en 17 volumes, le 18e est l’index, Fischer, Franckfurt am Main, 1999.

Outre la pléthore d’articles qui jalonnent le processus de la découverte de Freud, les principaux titres sont les suivants :

Die Traumdeutung (L’interprétation des rêves), 1900 (ajouts en 1935)

Zur Psychopathologie des Alltagslebens (Psychopathologie de la vie quotidienne), 1904

Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse (Introduction à la psychanalyse), 1916-1917

Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie (Trois essais sur la théorie de la sexualité), 1905

Totem und Tabu, 1912

Der Moses des Michelangelos, 1914

Das Unbewusste, 1915

Trauer und Melancholie, 1916

Das Unheimliche, 1917

Massen-Psychologie und Ich-Analyse (Psychologie collective et analyse du moi), 1920

Die Zukunft einer Illusion (L’avenir d’une illusion), 1927

Das Unbehagen in der Kultur (Malaise dans la civilisation), 1928

Eine Erinnerungsstörung auf der Acropolis (Un trouble de mémoire sur l’Acropole), lettre à Romain Rolland, janvier 1916

Der Mann Moses und die monotheistische Religion (L’homme Moïse et le monothéisme), 1934-1938

Cette lecture est une véritable réjouissance, particulièrement en allemand, cette langue qui intègre le suspens, la dynamique de la pensée dans sa conception même, puisque les verbes sont placés en fin de propositions subordonnées et de propositions relatives.

Une lecture vivifiante

La joie de la lecture procède de la facture même des propos de Freud qui avance pas à pas, propose des hypothèses, les vérifie en s’appuyant sur de nombreux exemples puisés dans son expérience comme dans ses lectures d’autres auteurs (confrères ou écrivains). Et il prévoit, formule et répond aux objections, bien décidé à amener ses auditeurs/lecteurs (en particulier les médecins) à se débarrasser de leurs fausses certitudes, préjugés, aprioris… et à accepter sa découverte : la prise en compte de la dimension de « l’inconscient » dans la vie psychique.

Psychopathologie de la vie quotidienne

De façon à être entendu, Freud s’est préoccupé (dès 1904) de rédiger des ouvrages destinés au grand public en partant des événements en apparence anodins de la vie quotidienne, vécus donc par tout un chacun. Il ouvre son ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne par l’exposé de ce qui nous arrive fréquemment : l’oubli ou la déformation de noms propres… ce qui paraît sans importance, sans conséquences, mais qui en fait révèle une perturbation émotionnelle. Ce trouble, qui semble conjoncturel mais qui est le plus souvent structurel, permet une incursion dans la vie psychique profonde, secrète de celui qui a oublié un nom. Freud mène l’enquête de manière rigoureuse en multipliant les exemples qui lui permettent d’éliminer l’argument de la consonnance, de la proximité graphique, pour démontrer qu’il s’agit d’un conflit psychique entre deux intentions, l’une qui perturbe et l’autre qui est perturbée. A partir de ces cas d’oubli de noms propres, confirmés par ce que révèlent les actes manqués et les lapsus, Freud fait remarquer que c’est toujours l’indice de la poussée d’une motion psychique dérangeante qui a été mise de côté et qui tente de se frayer une voie pour émerger et avoir gain de cause. Ces constats l’amènent à introduire la notion de « refoulement », et en l’occurrence de « refoulement raté » puisque ce qui aurait dû rester oublié cherche à refaire surface…

Le concept « d’inconscient »

Par la présentation de ces différents exemples familiers, pris dans la vie quotidienne, et par l’analyse des éléments qui les constituent (leur déconstruction en quelque sorte), Freud met en évidence la dimension inconsciente de la vie psychique et l’obligation impérative de la prendre en compte : il ose donc affirmer qu’une part non négligeable de notre vie psychique nous échappe… et il incite à se préoccuper des manifestations de ce qui est souvent qualifié de « forces obscures » – ces « forces » qui se manifestent comme elles le peuvent, tant dans les élans créatifs (l’inspiration) que dans les accès de colère ou tout autre forme d’excès émotionnels, de comportements qualifiés d’irrationnels.

Les notions de la psychanalyse

Ainsi, pour faire admettre le concept « d’inconscient » (das Unbewusste), Freud part du vécu de tout un chacun. Puis il poursuit l’exposé de sa démarche, et de sa théorie, en introduisant l’une après l’autre les notions fondamentales de la psychanalyse.

Le passage par l’analyse des rêves est une voie royale pour introduire la notion de « censure » ainsi que la distinction entre le « manifeste » et le « latent » et pour faire admettre la notion de « remplacement » (Ersatz) : de façon à empêcher l’expression directe de ce qui est répréhensible (inadmissible par la société), la « censure » s’arrange pour que soit remplacé ce qui devrait être dit par un tout autre propos et/ou par une mise en scène totalement déroutante. Freud souligne donc que la motion psychique qui perturbe pour se faire entendre ne peut s’exprimer que par des biais qui n’ont rien à voir directement avec elle : le « contenu manifeste » du rêve, ou de l’oubli de nom ou du lapsus ou de l’acte manqué, n’a en apparence rien de commun avec ce qui cherche à émerger, que Freud dénomme le « contenu latent ». La « censure » oriente sur de fausses pistes… Pour déjouer ces ruses de la « censure », et donc pour accéder et découvrir ce qui est à l’origine du conflit psychique, le « contenu latent », Freud fait comprendre que la seule solution est de compter sur les propos, sur les commentaires et comportements de la personne concernée par l’acte (rêves, lapsus, oublis, émotions incontrôlées, gestes erratiques…) révélateur d’un conflit intrapsychique. Comment ? L’unique moyen est le recours à la technique de « l’association libre » en prêtant attention à toutes les formes de « résistance », d’hésitations, d’évitements à exprimer.

Association d’idées. Qu’est-ce à dire ?

Etant donné que la motion psychique qui perturbe est profondément enfouie, cachée, qu’elle se dissimule derrière des « écrans » (souvenirs, discours, scènes ou images), il n’est possible de la débusquer qu’en remontant les filières des ruses de la « censure », c’est-à-dire en traduisant les métaphores, métonymies, déplacements d’accent, renversements dans le contraire, etc., utilisés par la « censure ». « L’association libre » d’idées, de mots, suppose de laisser libre cours aux pensées qui traversent l’esprit pour parvenir à découvrir derrière le nom oublié, derrière la scène du rêve, une tout autre situation sans relation apparente avec ce qui est manifeste (sauf pour les rêves d’enfants, et encore ! comme Freud tient à le signaler). Je propose un exemple inventé tout simple : admettons que le prénom « Adèle » ait été oublié… une chaîne associative de mots, de pensées pourrait remonter au cadeau impossible que la personne a reçu de celle avec laquelle il croyait être en relation amoureuse et qui ne se prénomme pas du tout Adèle : « cela provient d’elle ? » – « à d’elle ! » -, et la déception qu’il a fallu cacher… « Ah ! d’elle ? » … C’est le moment de rappeler que Freud souligne qu’un des premiers principes de la vie psychique est doublier ce qui a été cause de déplaisir : ce qui lui permet d’introduire la notion de « principe de plaisir » et sa tyrannie en quelque sorte puisqu’il contraint de « refouler » tout événement cause de souffrance psychique… mais ce qui est refoulé ne perd pas son énergie et cherche sans cesse à resurgir.

La technique fondamentale de la démarche psychanalytique inventée par Freud repose donc sur « l’association libre » : ce qui signifie oser dire « n’importe quoi », soit tout de qui vous passe par la tête sans porter aucun jugement, sans s’interdire de dire même si les propos ne sont pas admissibles par la morale, même s’ils paraissent absurdes, incohérents, sans aucun lien logique avec ce qui vient d’être dit. En levant toute « résistance », évidemment, ce qui n’est pas simple, mais la puissance de la « résistance » révèle l’intensité douloureuse de la motion refoulée. Pour Freud c’est la seule façon de déjouer les ruses de la « censure » et de découvrir ce qui taraude, car la constante des phénomènes psychiques est la non-adéquation du « contenu manifeste » avec ce qui est troublé : ce qui paraît évident n’a rien à voir directement avec le refoulé qui cherche à émerger. Il y a toujours remplacement (Ersatz) et « résistance » à dévoiler l’interdit, l’inadmissible. Dans tous les cas, il s’agit de décrypter le travail de la « censure » qui, hélas, procède sans aucune méthode ! si ce n’est le choix de la voie la plus efficace pour brouiller les pistes.

« Wo Es war, soll Ich werden »

Ainsi, pour faire comprendre la dimension essentielle de la découverte de « l’inconscient » et de ses manifestations erratiques, Freud procède de manière rigoureuse : il ne formule ses notions que progressivement, se préoccupant de prendre en compte les objections, les critiques, et déplorant que les médecins restent le plus souvent sourds, voire hostiles à la démarche psychanalytique, qui certes prend beaucoup de temps, mais qui s’avère efficace quand il y a persévérance.

La grande audace de Freud est par conséquent d’avoir mis en évidence le concept de « l’inconscient », affirmant qu’une grande partie de la vie psychique de tout un chacun échappe à toute volonté consciente ! Comment, dans cette situation universelle, éviter d’être le jouet de cet « inconscient » ? Comment faire devenir conscient ce qui se trame dans l’inconscient ? De l’inconscient au conscient : « Wo Es war, soll Ich werden », telle est la dernière phrase de la 31ème Nouvelle Conférence de 1932 (ce qui est difficile à traduire, mais qui peut se formuler : « Là où était le ‘ça’, le ‘Je’ doit advenir »).

Pour proposer une démarche qui permette ce passage de l’inconscient au conscient, Freud introduit progressivement dans ses développements les notions essentielles de « symptôme », de « refoulement » (Verdrängung), de « déplacement » (Verschiebung), de « remplacement » (Ersatz), de « libido » (la force de la pulsion sexuelle), de sexualité infantile (l’enfant est un pervers polymorphe), de « résistance » (Widerstand) et de « transfert » (Übertragung, dans le contexte d’une cure psychanalytique, le patient transfert ses passions et pulsions sur la personne du psychanalyste).

La sexualité infantile

Outre sa découverte de « l’inconscient » (formulée en termes scientifiques, et non plus seulement en situations poétiques ou théâtrales), Freud a eu l’audace de mettre l’accent sur la sexualité infantile : l’enfant n’est pas le pur innocent, exempt de toute pulsion sexuelle, petit ange dépourvu de haine, de violence et de méchanceté. La découverte de Freud est donc que dès la plus tendre enfance l’être humain est en prise à des sensations de plaisir (téter, jouer avec les différentes parties de son corps) et de déplaisir (douleurs, coliques, faim, chaud, froid, bruits), et que sa tendance est d’éviter, d’oublier le déplaisir pour consacrer le plaisir, ce qui l’amène à explorer tout ce qui peut le satisfaire immédiatement… C’est l’éducation donnée par les adultes qui entourent l’enfant qui le contraint à renoncer à ses satisfactions pulsionnelles du ressort de la haine et de la cruauté, à refouler les gestes qui le combleraient de plaisir solitaire du ressort de l’onanisme et du narcissisme… L’enfant est donc par nature un pervers polymorphe, et en grandissant il va devoir abandonner progressivement ses satisfactions provenant de sources multiples pour se plier au primat du plaisir génital, ce qui ne s’accomplit pas sans douleurs ni sans « résistance » … Comme il est impossible d’oublier les sources premières de satisfaction, des fixations à des phases de développement de la libido (orale, anale, sadique, scopique) particulièrement agréables peuvent s’imposer à l’individu. Tout cela à l’encontre de toute volonté consciente, donc à son insu… mais, il en reste des traces efficientes dans l’inconscient… qui cherchent par tous les moyens possibles à obtenir satisfaction, le plus souvent par substitution, de manière dérivée. Le paradigme en serait le fétichisme : la fixation sur un objet, un bout de tissu par exemple, lié aux premières expériences de satisfaction (la jouissance du sein maternel, l’odeur de la mère, l’aspiration à retrouver la chaleur de la vie intra-utérine).

Le symptôme

Cette découverte de la sexualité infantile et de ses phases d’évolution (orale, anale, sadique-anale, puis période de latence avant la puberté) a permis à Freud d’introduire l’idée que le « symptôme » est un moyen de fixer une forme de satisfaction normalement dépassée, et que la « névrose » qui se manifeste par des symptômes est l’inverse de la « perversion », la « perversion » étant la disposition originelle de la pulsion sexuelle : quand la satisfaction est refusée, plutôt que de renoncer à l’objet interdit, le « symptôme » est « l’Ersatz » de la satisfaction recherchée.

La névrose

Ainsi, après avoir exposé les manifestations de l’inconscient concernant chacun, Freud s’appuie sur ses expériences en tant que médecin de patients souffrant de névrose ; il prend soin d’introduire la distinction entre l’hystérie et différentes névroses (« de conversion », obsessionnelle « de contrainte »), et il incite à ne pas les confondre avec les maladies mentales (paranoïa, démence précoce, mélancolie) : le traitement ne peut être identique car le « transfert » sur la personne du médecin est impossible dans le cas des maladies mentales dans la mesure où l’objet d’amour n’a jamais été que la personne propre (ce qu’il nomme « narcissisme »).

Les outils conceptuels de la démarche analytique

En multipliant les conférences, en particulier celles de L’introduction à la psychanalyse, ouvrage publié pendant la Grande Guerre en 1917, Freud cherche à promouvoir la nécessité de la psychanalyse en mettant en avant l’évidence de sa démarche et en énonçant progressivement les éléments de sa théorie, ceux mêmes qu’il a découverts en étudiant les rêves (la condensation, le déplacement d’accent, le retournement en son contraire, la transposition de propos en images), auxquels il ajoute ceux qui caractérisent la dynamique même de la vie psychique (le refoulement, la libido, la régression à des stades antérieurs de la vie sexuelle infantile, la sublimation) et ceux propres à la cure (la résistance, le transfert de la libido d’objet sur la personne du psychanalyste).

Le rôle heuristique de l’émotion

Une autre découverte de Freud est l’importance de l’émotion produite par une œuvre d’art ou par un souvenir : dans Le Moïse de Michel-Ange en particulier il met en évidence la valeur heuristique de l’émotion ressentie en montrant qu’elle ouvre sur l’interprétation de l’œuvre d’art, et dans Un trouble de mémoire sur l’Acropole il montre que l’émotion met sur la voie de l’interprétation de son propre vécu (quel événement oublié est à l’origine de cette émotion ?). Et dans son ouvrage intitulé Das Unheimlich Freud démontre que l’impression de se trouver devant du déjà connu est une forme de retour du refoulé : ce serait la rencontre inopinée avec le rappel d’une émotion vécue, donc intime, dont l’expression a été interdite, qui a donc due être refoulée, mise de côté – qui n’a donc rien à voir avec un vécu réel.

Le transfert de l’émotion créatrice  

Selon Freud, l’émotion produite par une œuvre est une voie royale pour déceler son sens, soit l’intention secrète de l’artiste : ce qu’il ne pouvait pas exprimer ni transmettre autrement. C’est ainsi que, dans l’introduction de son étude intitulée Der Moses des Michelangelo (Le Moïse de Michel-Ange), publiée en 1914, il avance l’idée que l’émotion ressentie par le spectateur reflèterait l’intention du créateur, donc que l’analyse de cette émotion permettrait d’atteindre le sens de l’œuvre.

« Was uns so mächtig packt, kann nach meiner Auffassung, doch nur die Absicht des Künstlers, insofern es ihm gelungen ist, sie in dem Werke auszudrücken und von uns erfassen zu lassen (…) ; es soll die Affecktlage, die psychische Konstellation, welche beim Künstler die Triebkraft zur Schöpfung abgab, bei uns wieder hervorgerufen werden. (…) der auf uns wirksame Ausdruck der Absichten und Regungen des Künstlers ist. Und um diese Absicht zu erraten, muss ich doch vorerst den Sinn und Inhalt des im Kunstwerk Dargestellten herausfinden, also es deuten können. »

(« à mon sens, ce qui nous empoigne si violemment ne peut-être que l’intention de l’artiste, autant du moins qu’il aurait réussi à l’exprimer dans son œuvre et à nous la faire saisir (…) ; il faut que soit reproduit en nous l’état de passion, d’émotion psychique qui a provoqué chez l’artiste, l’élan créateur. (…) si cette œuvre est l’expression, effective sur nous, des intentions et des émois de l’artiste. Mais pour deviner cette intention, il faut que je découvre d’abord le sens et le contenu de ce qui est représenté dans l’œuvre, par conséquent que je l’interprète. »)

Des remarques prémonitoires

Outre les composantes de sa démarche psychanalytique et de ses effets sur les possibilités d’interpréter des événements en s’intéressant aux détails, les écrits de Freud contiennent de nombreuses remarques de première importance (que les critiques occultent trop souvent !).

Entre autres, dès les Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), Freud souligne le rôle des parents dans l’éveil précoce et déplacé de la sexualité infantile : l’attitude érotique des parents (à leur insu, en toute naïveté) éveille la pulsion sexuelle chez l’enfant. Il fait remarquer que toute mère serait très étonnée si on lui disait qu’elle a éveillé la sexualité de son enfant avec les soins qu’elle lui prodigue ! Ou que les parents névrosés transmettent leur névrose à leurs enfants, quand ils déploient trop de gestes de tendresse…

Freud souligne également l’importance de prendre en compte la « fantaisie » des enfants qui se racontent des histoires pour s’expliquer ce qui ressort de l’énigmatique (l’origine des enfants, les relations entre les parents), et qui ont tendance à confondre la réalité et leur fantaisie (en particulier dans les récits de séduction). Ce que les enfants racontent est souvent loin de la vérité, de ce qui s’est passé, de ce qui a eu lieu… Il est donc indispensable de ne pas prendre le récit de l’enfant sans précaution…

Freud met également l’accent sur l’attitude des petits enfants qui ne s’intéressent pas plus que ça à la différence entre les sexes : ce n’est qu’après la période de latence, donc à la puberté, que la différence s’impose.

L’homme n’est plus maître en sa demeure

Ces préoccupations didactiques sont étayées par la certitude que Freud exprime déjà dans son Introduction à la psychanalyse : sa découverte de « l’inconscient » représente une révolution absolue à l’instar de celle de Copernic concernant l’héliocentrisme, et de celle de Darwin concernant l’évolution des espèces, révolutions qui rabaissent la prétention de l’homme à la toute-puissance. L’homme n’est plus ni le centre ni le maître du monde ! il est le produit d’une longue évolution qui le façonne à son insu… et dont « l’inconscient » est le réceptacle (ce que Lacan a nommé « discours de l’Autre »). Et, en plus, l’homme (l’être humain) doit renoncer à la satisfaction de ses pulsions perverses, il doit refouler ses pulsions de haine, pour que soit possible la vie en collectivité – la civilisation… ce qu’il vit avec grand malaise ! L’issue possible qui lui reste : la sublimation qui résulte de la transformation des pulsions sexuelles en émotion esthétique et en création artistique.

Pour l’être humain, il s’agit de se dégager de l’animalité ou du mysticisme pour accéder à l’humain qui ne peut être placé que sous l’égide de la Loi : ce qu’Albert Cohen désigne par « la loi de l’anti-Nature » mise en œuvre dans le judaïsme par le peuple juif,  qui a instauré la Loi de façon à dépasser toute confusion en séparant ce qui est autorisé de ce qui est interdit.

L’interdit de la représentation

Parmi les « Dix Paroles » (les Dix commandements) fondatrices de La Loi, Freud retient l’importance décisive de celle qui interdit la représentation imagée ou sculptée de la divinité : il y repère l’énoncé d’une Loi qui privilégie la parole au détriment de l’image, favorisant ainsi la « vie de l’esprit ». Car, quand le règne de l’image se substitue à celui de la parole, c’est la jouissance primitive, narcissique, destructrice qui triomphe au détriment de la dynamique d’une vie psychique tournée vers l’épanouissement de l’humain.

Ainsi, accepter la Loi, c’est se libérer de la tyrannie du désir (et non de la dynamique du désir) en détournant la libido de ses sources et objets de satisfaction primitifs au profit de qu’il y a de plus humain en l’homme.

Cette primauté de la parole sur l’image, sur la mise en scène visuelle, a guidé la pratique même de la cure psychanalytique : Freud a inventé le dispositif du divan sur lequel le patient est allongé alors qu’en arrière se trouve le fauteuil du psychanalyste qui écoute ce que dit le patient sans voir le psychanalyste.

Relire ou lire Freud est donc non seulement simple et exaltant, mais essentiel et indispensable : comme il est impossible de faire l’impasse sur la dimension de l’inconscient qui régit nos vies, nos émotions, nos choix, choisissons la devise Wo Es war, soll Ich werden.

D’autant que Freud nous a donné les moyens pratiques et théoriques de réaliser cette injonction !