Elisabeth Brisson, Palteau, 23 février 2024

Que se cache-t-il derrière la volonté affichée par certains de faire respecter la laïcité ? un intégrisme laïc….

Et d’abord, qu’est-ce que la laïcité ?

Stéphanie Hennette Vauchez répond à cette question dans une courte publication intitulée Laïcité, éditée par anamosa dans la collection Le mot est faible, en 2023. Cette Professeure de droit public à Nanterre insiste sur une définition de la laïcité qui noue trois concepts de manière indissociable :

  • La séparation du séculier et du religieux consacrée par la loi 1905 relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat
  • La garantie de la liberté religieuse, de la liberté de conscience, de la liberté d’expression
  • La neutralité religieuse de l’Etat (et de son administration)

Constatant que le terme « laïc » n’apparaît qu’en 1946 dans « la France est une république laïque, indivisible, démocratique et sociale », elle fait remarquer qu’aucune définition juridique de la laïcité n’est donnée. Et elle met en garde contre l’hypertrophie de la composante de « neutralité » aussi bien l’école[1], qu’au travail et que dans l’espace public[2] : se mobiliser pour la défense de la laïcité sert toutes les causes et en particulier celles qui cherchent à se parer contre le « terrorisme islamique ».

Le résultat est que tout esprit critique est annihilé, anesthésié ; que la liberté de conscience comme la liberté d’expression sont en fait réprimées, refoulées ; que l’autocensure règne pour ne pas prendre le risque d’être pris en flagrant délit de non-respect de la laïcité… A qui profite cet interdit de penser, cet impératif d’ordre moral ? cette laïcité rigide ? Il profite tout simplement à l’ordre néo-libéral qui y trouve « un supplément d’âme » car « il ne dispose d’aucun (autre) registre de justification et de légitimation de la brutalité et de l’importance des inégalités qu’il ne cesse de causer et d’accroître ». Selon Jean-Fabien Spitz[3] « l’universalisme moral de l’intégrisme républicain est dès lors en parfaite cohérence avec le néolibéralisme. » (anamosa p.98)

La même occultation des différences vaudrait donc pour tous …. et serait-ce une façon de combattre le terrorisme[4] ? une façon de masquer la peur d’une submersion du « catho-laïcisme » par l’épanouissement de la religion musulmane et d’autres religions orientales ?

Cet écran qui veut cacher une non-uniformité des croyances et des consciences évoque une tendance totalitaire. Cet écran est en outre contraire à la tradition juridique française qui ne s’oppose pas « à la prise en compte et à l’aménagement des différences et spécificités – fussent-elles religieuses. » (anamosa p.99)

Il est indispensable de rappeler que la loi doit pouvoir varier et s’adapter aux cas spécifiques. « Les travaux théoriques et philosophiques sur l’égalité ont établi depuis longtemps que l’application d’une règle uniforme à des situations différentes encourt le risque d’aggraver les inégalités. » (anamosa p.102)

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Description générée automatiquement

[1] Staphanie Hennette Vauchez, L’Ecole et la République. La nouvelle laïcité scolaire, Paris, Dalloz, 2023.

[2] Staphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire Baby Loup, ou la nouvelle laïcité, LGDJ, 2014.

[3] Jean-Fabien Spitz, La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Paris, Gallimard, 2022.

[4] Philippe Portier, Le Tournant sécuritaire de la laïcité, Grenoble, PUG, 2021.